En Faveur de la Recherche de la Paternité
9 février, 1910 — Le Groupe Français d’Etude Féministes, Manifestation en faveur de la recherche de la paternité
C’est une intention infiniment louable qui a poussé le Groupe français d’Etudes féministes à prendre l’initiative d’une telle manifestation. La réforme que viennent d’exposer et de défendre devant vous tant de distingués orateurs est en effet de celles qui s’imposent, dans les circonstances actuelles.
Ce n’est certes pas moi qui trouverai mauvais que l’on veuille inspirer à l’homme le sentiment de sa responsabilité, l’obliger à réfléchir aux conséquences de ses actes et lui faire comprendre que cette réflexion et cette responsabilité constituent précisément ce qui différencie l’individu civilisé de la brute inconsciente, égoïste et stupide, n’obéissant qu’à son instinct, et ne cherchant que son plaisir, plaisir dont la souffrance d’un autre est presque toujours la rançon. Et je suis bien persuadée, comme vous tous, que la moindre sanction légale, la plus légère menace d’atteinte à leur chère tranquillité, diminuerait dans des proportions notables le nombre des séducteurs, par conséquent le nombre de leurs victimes, des pauvres filles trop confiantes ou trop ignorantes, devenues mères sans le savoir, au hasard d’une rencontre, et dans les pires conditions.
Peut-être les repopulateurs auraient-ils lieu de s’en affliger, mais ceux qui désirent la procréation consciente et qui préfèrent la qualité à la quantité ne pourraient que s’en réjouir.
Je suis donc de tout cœur avec les excellentes féministes qui nous ont appelés ici. Et peut-être, sachant cela, voudront-elles bien me permettre d’apporter à cette tribune, non point certes des objections, mais au contraire, un prolongement, un développement, une amplification de l’idée qui préside à ces généreux débats.
On vous a dit, Mesdames et Messieurs, la nécessité et les avantages de la recherche de paternité. Vous savez quels magnifiques espoirs mettent en vous ceux qui plaident la cause avec autant d’éloquence que d’ardeur. Je me garderais bien, certes, d’y contredire!
Mais cependant, lorsque je songe à toutes celles pour qui le père de leur enfant demeurera insaisissable, à toutes celles qui reculeront devant les formalités, les démarches, à toutes celles surtout dont la dignité ne voudra rien demander ni devoir au misérable qui les a reniées, . . . je me dis que nous aurions tort de ne voir dans cette recherche de paternité autre chose qu’un palliatif très insuffisant, autre chose qu’un premier pas, bien timide encore – et qui doit être suivi par beaucoup d’autres dans l’abrupt chemin encombré d’obstacles où se traîne péniblement la femme-esclave vers la justice intégrale et la liberté complète?
Je me dis qu’il importe moins de donner à la mère trahie et à l’enfant délaissé la possibilité de rechercher et de punir l’amant trompeur, le père indigne que de les mettre l’un et l’autre en état de se passer de lui, de l’ignorer comme il les ignore et de le mépriser comme il les dédaigne.
Et peut être le grand problème qui nous occupe aujourd’hui comporte-t-il une autre solution. Ouvrir à la femme toutes les portes et lui dévoiler tous les horizons; la rendre maîtresse de ses destinées, capable de vivre sa vie propre, de se faire elle-même une place au soleil; abolir, aussi, l’odieuse morale qui met l’opprobre sur le front sacré des mères, lorsqu’elles se sont permis de l’être en dehors des rites légaux; et puis — c’est là le point essentiel — créer cette «Caisse de la maternité», réaliser cette assimilation de la fonction maternelle à une fonction sociale, qui, seule, peut assurer aux mères l’indépendance avec la sécurité, . . . voilà le grand, le vrai remède à tant de maux dont nous nous affligeons.
Et ce n’est point là d’un secours, d’une aumône, c’est d’un juste salaire, qu’il s’agit.
Une société qui réclame des enfants n’a pas le droit de se désintéresser des mères.
Une société qui entretient le soldat, ouvrier de mort, n’a pas le droit d’abandonner la mère, créatrice de vie.
Elle contracte, envers toute femme qui enfante, une dette, à la fois pécuniaire et morale, dette d’honneur, dette sacrée, que pendant trop longtemps, Mesdames, nous lui avons permis de ne pas acquitter.
Il faut qu’elle comprenne enfin son devoir, étroitement lié à son intérêt.
La recherche de paternité, c’est bien; l’adoucissement, le couronnement de la maternité, c’est mieux.
Mettre la femme sous la protection de l’homme, cela peut quelquefois être utile; mais les confier à la sollicitude sociale, voilà qui est plus juste, voilà qui est plus large, voilà qui est plus digne d’une grande et libre Nation. Et toutes les femmes seront avec moi, j’en suis sûre, pour appeler l’heure bénie où se substituera enfin à nos tristes maternités, à nos maternités de hasard, à nos maternités-corvées, qui ne créent pour nous que de la misère, de la servitude et de la honte. . . , la maternité, libérée, magnifiée et glorieuse, source de bien-être et de joie, la maternité-sacerdoce, entourée de toutes les vénérations, qui nous fera prêtresses et reines. . . , comme chez les abeilles.
Source: Paroles de Combat et d’espoir: Discours choisis, par Nelly Roussel (Éditions de l’Avenir Social. Epône, S.-et-O., 1919), pp. 39-42.