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Discours Prononcé
à la Société Fraternelle des Minimes

Le 25 mars 1792 — En présentent un Drapeau aux Citoyenne du Faubourg S. Antoine, La Société Fraternelle des Minimes, Place Royale, Paris, France

 

«Citoyennes, quoique nous ayons remporté des victoires, qu’un Tyran soit mort, qu’un Ministre prévaricateur soit accusé de haute trahison, et que l’Assemblée Nationale montre une énergie qui ranime l’espérance des Amis de la Patrie, nous sommes cependant toujours en danger. Sans entrer à cet égard dans des détails qui vous sont connus, je vous répéterai seulement ce que je crois ne pouvoir être trop appelé à vous souvenir, afin de vous inviter à réfléchir sérieusement sur notre situation; à ne pas perdre de vue que les torches de la guerre civile sont prêtes à s’allumer; que l’étendard de la contre-révolution est arboré dans plusieurs parties de l’Empire: qu’il est visible que partout, mais particulièrement dans Paris, des scélérats soudoyés ont un plan de division intestine qu’ils suivent avec la plus grande activité, afin de préparer des partis qui seront toujours funestes à la liberté, si votre vigilance ne déjoue les trames criminelles ourdies par nos ennemis.

Citoyennes, n’oublions pas que nous nous devons toutes entières à la Patrie; qu’il est notre devoir le plus sacré de resserrer entre nous Ies liens de l’union, de la confraternité ; et de répandre les principes d’une énergie calme, afin de nous préparer avec autant de sagesse que de courage à repousser les attaques de nos ennemis.

Citoyennes, nous pouvons, par un généreux dévouement, rompre le fil de ces intrigues. Armons-nous; nous en avons le droit par la nature et même par la loi ; montrons aux hommes que nous ne leur sommes inférieures ni en vertus, ni en courage; montrons à l’Europe que les Françaises connaissent leurs droits, et sont à la hauteur des lumières du dix-huitième siècle; en méprisant les préjugés, qui par cela seul qu’ils sont préjugés, sont absurdes, souvent immoraux, en ce qu’ils nous font un crime des vertus.

Les tentatives que le pouvoir exécutif pourra faire par la suite pour regagner la confiance publique, ne seront que des pièges dont nous devons nous défier: tant que nous mœurs ne seront pas d’accord avec nos lois, il ne perdra pas l’espérance de profiter de nos vices pour nous remettre dans les fers. Il est tout simple, et vous devez même vous y attendre; on va mettre en avant les aboyeurs, les folliculaires soudoyés, pour essayer de nous retenir, en employant les armes du ridicule, de la calomnie, et tous les moyens bas que mettent ordinairement en usage les hommes vils pour étouffer les élans du patriotisme dans les âmes faibles. Mais, françaises, actuellement que les progrès des lumières vous invitent à réfléchir; comparez ce que nous sommes avec ce que nous devrions être dans l’ordre social. Pour connaître nos droits et nos devoirs, il faut prendre pour arbitre la nation, et guidés par elle, nous distingueront le juste de l’injuste. Quel serait donc la considération qui pourrait nous retenir, nous empêcher de faire le bien lorsqu’il est évident que nous le pouvons et que nous le devons? Nous nous armerons, parce qu’il est raisonnable que nous nous préparions à défendre nos droits, nos foyers, et que nous serions injustes à notre égard et responsables à la Patrie, si la pusillanimité que nous avons contracté dans l’esclavage avait encore assez d’empire pour nous empêcher de doubler nos forces.

Sous tous les rapports, vous ne pouvez douter que l’exemple de notre dévouement ne réveille dans l’âme des hommes les vertus publiques, les passions dévorantes de l’amour de la gloire et de la Patrie. Nous maintiendrons ainsi la liberté par l’émulation et la perfection sociale résultante de cet heureux concours.

Françaises, je vous le répète encore, élevons-nous à la hauteur de nos destinées; brisons nos fers; il est temps enfin que les femmes sortent de leur honteuse nullité, où l’ignorance, l’orgueil, et l’injustice des hommes les tiennent asservies depuis si longtemps; replaçons-nous au temps où nos mères, les Gauloises et les fières Germaines, délibéraient dans les assemblées publiques, combattaient à côté de leurs époux pour repousser les ennemis de la Liberté.

Françaises, le même sang coule toujours dans nos veines; ce que nous avons fait à Beauvais, à Versailles, les 5 et 6 octobre, et dans plusieurs autres circonstances importantes et décisives, prouve que nous ne sommes pas étrangères aux sentiments magnanimes. Reprenons donc notre énergie; car si nous voulons conserver notre Liberté, il faut que nous nous préparions à faire les choses les plus sublimes. Dans le moment actuel, à cause de la corruption des mœurs, elles nous paraîtront extraordinaires, peut-être même impossibles; mais bientôt par l’effet des progrès de l’esprit public et des lumières, elles ne seront plus pour nous que simples et faciles.

Citoyennes, pourquoi n’entrerions-nous pas en concurrence avec les hommes. Prétendent-ils seuls avoir des droits à la gloire; non, non. . .  Et nous aussi nous voulons mériter une couronne civique, et briguer l’honneur de mourir pour une liberté qui nous est peut-être plus chère qu’à eux, puisque les efforts du despotisme s’appesantissaient encore plus durement sur nos têtes que sur les leurs.

Oui . . . généreuses Citoyennes, vous toutes qui m’entendez, armons-nous, allons nous exercer deux ou trois fois par semaine aux Champs-Élysées, ou au Champ de la Fédération; ouvrons une liste d’Amazones Françaises; et que toutes celles qui aiment véritablement leur Patrie, viennent s’y inscrire; nous nous réunirons ensuite pour nous concerter sur les moyens d’organiser un Bataillon à l’instar de celui des élèves de la Patrie, des Vieillards ou du Bataillon sacré de Thèbes. En finissant, qu’il me soit permit d’offrir un étendard tricolore aux Citoyennes du faubourg Saint-Antoine.»

 

 

Source: Discours prononcé à la Société fraternelle des Minimes, le 25 mars 1792, l’an quatrième de la liberté (Paris: L’Imprimerie de Demonville), 1792