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Against Vivisection

23 Septembre 1883 — Conference Theatre des Nations, Paris, France

 

Messieurs, Mesdames,

Il s’est commis et il se commet, au nom de la science, des actes qui, récemment mis en lumiére, ont soulevé l’opinion publique et ont provoqué sa légitime indignation, non seulement en France mais encore à l’étranger. Je dirai même que, dans cette unamie protestation dictée par un pricipe supérieur, nous ne sommes pas, contre notre habitude, arrives les premiers. L’Angeterre a pris l’initiative, et elle en a presque fini avec la vivisection. L’Allemagne suit le même exemple; la race teutonne n’est pourtant pas réputée tendre.

Si ce movement de reprobation s’est plus lentement accusé chez nous, c’est que le public ne se doutait nullement de ce qu’on entendait par ces mots: Etudes de physiologie expérimentale, et en quoi elles consistent.

Sans doute, il y a des gens qui savaient que des expériences étaient laites sur des animaux vivants; mais ils ignoraient comment on les pratiquait, et quelle en était la durée. Ils s’imaginaient méme que depuis la découverte du chloroforme et ses applications, les animaux soumis aux expériences étaient complètement insensibilisés, et conséquemment sous traits à la souffrance. Que, d’ailleurs, ce mode d’investigations n’était employé que par des professeurs justement autorisés qui n’en faisaient point abus et n’y recouraient meme qu’à la dernière extrémité.

C’était une illusion qui menaçait de durer longtemps; car il y a, au fond de l’humanité, une tendance à ne point sortir de sa quiétude et de sa tranquillité, quand elle n’est point sollicitée par un intérêt direct, et à préférer croire que tout est pour le mieux que d’aller y voir.

Heureusement que la presse, qui vulgarise tout, — et c’est là un des plus grands services qu’elle puisse rendre à la société, — a répandu à des cent mille exemplaires des articles qui ont mis les profanes au courant des travaux des savants et des procédés dont ils usent.

Le public a donc été initié aux mystères, aux arcanes des laboratoires; et il a su en détail tout ce qui s’y passait.

Il a appris, à sa grande stupeur, que les animaux qu’on soumet aux expériences de vivisection ne sont nullement insensibilisés; et que s’ils sont anesthésiés, dans une certaine mesure, c’est simplement pour les empêcher de manifester leur douleur, ce qui peut gêner les opérateurs; mais que ces animaux n’en ressentent pas moins les tortures les plus atroces, augmentées encore par l’impuissance dans laquelle ils sont de les exprimer.

De plus, le public a appris que ces abominables supplices, dont rien ne peut donner une idée, si ce n’est les annales de l’inquisition et les beaux temps de la torture, ne durent pas seulement des heures, une journée, des jours, mais souvent un mois. . .  et même plus! Car la grande habileté du vivisecteur, habileté qui émerveille ses élèves, consiste à découper un animal vivant, à le percer à jour et à prolonger sa vie indéfiniment, s’il était possible, pour continuer les expériences.

Ces actes, d’une inqualifiable férocité, se perpétuent au nom de la science qui, aujourd’hui, est le mot sacrosaint, le dogme immuable. Il a, comme toutes les an ciennes divinités, ses holocaustes et ses hosties.

Du reste, il est à remarquer que toutes les iniquités, tous les forfaits plus ou moins juridiques, plus ou moins légaux, ont été accomplis, en histoire, au nom d’une entité quelconque, un être abstrait, un mythe: Dieu, la Foi, la Patrie, la raison d’Etat, érigés en tyrans. Et l’on égorgeait des vierges, de jeunes garçons; le sang humain arrosait les autels, on allumait les bûchers.

Mais sans remonter si haut, rappelons un fait récent. N’avons-nous pas assisté, en 1874, à des discussions de la Chambre au sujet d’une loi de protection pour le travail des enfants dans les manufactures, loi sage, humaine, s’il en fut, et dont l’urgence était démontrée, puisqu’elle devait préserver de la dégénérescence et do l’atrophie les jeunes générations des départements manufacturiers. Eh bien! ne vit-on par des orateurs monter à la tribune pour combattre cette loi et avoir le cynisme d’invoquer les nécessites industrielles.

Il semble, n’est-ce pas, que l’industrie soit faite pour l’homme et non l’homme pour l’industrie.

C’est donc en faveur des nécessités scientifiques que les laboratoires de physiologie sont transformés en abattoirs et en salles de tortures avec tous les instruments raffinés dignes de l’imagination d’un Torquemada.

C’est là que le savant physiologiste s’applique à perdre tout ce qui distingue l’homme civilisé de l’homme sauvage.

On s’est ému enfin d’un tel état de choses. Des voix autorisées se sont élevées: des journalistes, des publicistes de grand talent ont entrepris une vigoureuse campagne et s’en sont faits les champions éloquents, parmi lesquels nous comptons en première ligne, MM. Edmond Magnier, Aurélien Scholl de l’Evénement, Adolphe Tavernier, du même journal, M. Cramont, de l’Intransigeant, MM. Simon Boubée, Ladiane, du Clairon, etc., etc.

Une femme éminente, mislrcss Anna Kingslord, docteur en médecine de la Faculté de Paris, a fait paraître sur cette question plusieurs brochures remarquables et remarquées.

A mon tour, je viens protester sans passion, sans parti-pris. Je suis une conscience qui s’adresse à d’autres consciences, persuadée, à l’avance, de trouver chez ceux qui n’ont, pas d’idées réconçues el qui forment le vrai public, une complète impartialiléet une entière bonne foi.

Pour prévenir tout malentendu, alin qu’on ne me prête pas un langage que je n’aurai pas tenu et des opinions qui ne sont pas les miennes, qu’on sache donc bien que je ne proteste pas seulement contre l’abus de la vivisection, mais contre la vivisection elle-même, dont l’usage seul est un abus.

Je m’insurge contre cette méthode horrible aussi pernicieuse à la science qu’à la conscience.

Pour éviter toute confusion, sachons donc, puisque ces odieux sacrifices se consomment au nom de la science, quel est son objet et son but.

Dès que la science s’est débarrassée des entraves de la théologie et de la métaphysique, elle a eu pour objet unique la conquête de la vérité par la connaissance des choses qui nous entourent et la connaissance de nous-mêmes.

La science a donc cherché les causes des phénomènes, autrement dit les lois en vertu desquelles ils se produisent.

Or, connaître les lois de la nature, connaître les lois qui régissent nos organismes, c’est apprendre en même temps quel rapport existe entre nous et l’univers. C’est apprendre que toutes les espèces, sans exception, sont composées des mêmes éléments que leurs milieux, et qu’en conséquence l’harmonie générale ne peut résulter que de l’entente parfaite entre les deux termes: l’individu et le monde externe. C’est savoir quel lien nous rattache au cosmos et aux êtres qu’il contient quelles relations doivent s’établir entre nous et eux; quelle place revient à chaque race, quel rôle revient à chaque individu; enfin, quelle somme de droits, de devoirs, de responsabilité, incombe à chacun de nous.

Nous ne marchons plus en aveugles, la science nous a fourni une conception du monde basée sur des don nées expérimentales positives.

De cette conception ressort la solidarité qui nous arrache à l’égoïsme, nous révèle une morale supérieure et nous donne un principe de direction dans la vie.

Cette solidarité, démontrée par l’uniformité fondamentale des êtres et l’unité de composition de la nature, nous amène à conclure qu’il n’y a pas de règne humain, mais un règne animal avec progression ascendante.

A chaque échelon franchi, la vie se complique, se perfectionne; les facultés s’étendent, se développent, s’additionnent; mais néanmoins, quelque extension qu’elles puissent prendre, elles proviennent de la même source et n’ont qu’une même origine: la différence n’est que dans la structure des organes. Aujourd’hui, tous les physiologistes sont d’accord pour affirmer l’identité des principes constitutifs des individus et des races. Nulle part dans le corps humain, aucun d’eux n’a pu saisir la plus légère trace, le moindre vestige d’un principe exceptionnel, spécial d’une force transcendante et immatérielle qui pût distinguer la vie de l’homme de la vie de la bête: dans les deux, la cause animique est la même.

Cette constatation incessamment renouvelée a dû rabattre beaucoup de notre orgueil. Elle nous donne la mesure de notre juste valeur et nous impose encore plus d’obligations envers des êtres qui sont, il est vrai, au-dessous de nous, mais qui, suivant la belle expression de Michelet, n’en sont pas moins nos frères inférieurs.

Que les spiritualistes professent le mépris pour la race dite animale, vile à leurs yeux, rien de plus logique; eux qui croient que l’homme est un être à part, un être privilégié, créé par un acte spécial de la volonté céleste; qu’il a en lui une particule divine: que son âme est impérissable, immortelle, etc., etc.

Descartes considérait les animaux comme des auto mates, des machines, des mécanismes; il leur refusait la sensibilité. Malebranche partageait les mêmes idées; il leur refusait la sensibilité. Malebranche partageait les même idées. Il avait une chienne qu’il rouait de coups, celle-ci hurlait de douleur, il n’en continuait pas moins de soutenir qu’elle était insensible. De la part de si grands esprits, c’était absurde. On a peine à croire que le génie de Descaries soit tombé dans de si graves erreurs. Mais il était mal dégagé des préjugés religieux. Bien qu’ayant soif de science et de vérité, il voulait, à tout prix, rester orthodoxe et s’appliquait à laisser passer la foi avant la raison.

Il n’en est pas de même pour les savants do nos jours, savants matérialistes; je dis matérialistes, car il est évident que l’esprit des doctrines scientifiques penche actuellement du côté de la négation la plus absolue de toule spiritualité et de tout déisme. Ici, je ne fais point d’appréciation, ce n’est pas le lieu. Je serais même fort embarrassée de me prononcer, me rangeant de l’avis de ce profond sceptique, appelé l’Ecclésiaste, qui disait, onze cents ans avant notre ère: « Qui sail si l’Ame des fils d’Adam va en haut, et. si 1’âme des bêtes va en bas? »

Je m’étonne que les savants matérialistes, nos conlemporains, qui enseignent que l’homme n’est qu’un fragment de la nature; que son esprit n’est qu’une pro priété de la matière; sa pensée, qu’une sensation transformée, ou, bien mieux, qu’une sécrétion du cerveau; et que dans le mouvement évolutionniste, il procède de la race simienne, autrement dit, du singe; je m’étonne, je le répète, qu’ils ne soient pas plus circonspects avec ceux qu’ils appellent leurs ancêtres cl qui devraient mériter plus d’égards. Que devient la voix du sang? Quoi, on transfuse le sang d’un animal dans un homme, et l’homme répandrait, sans scrupule, ce même sang qui a tant d’affinité avec le sien!

Les savants matérialistes se justifient en ces termes:

« C’est parce que nous étudions, sans relâche, la nature, disent-ils, c’est parce que nous vivons avec elle en commerce constant que nous avons acquis la certitude qu’elle est absolument indifférante à la souffrance et que son système est impitoyable.

« Cette fameuse harmonie générale que vous nous vantez, ajoutent-ils, n’est qu’une apparence. Le concert de bonheur et d’amour qui, suivant vous, par un beau soleil et une belle nuit s’élève de toute la terre, n’est qu’une grossière chimère. Ce n’est au contraire qu’un cri de désespoir et de détresse qui s’exhale de toute part. Partout, on effet, les espèces s’entre-détrui sent, s’entre-dévorent, les individus entrent en lutte; partout le fort extermine impunément le faible. Noire humanité, quoique d’un ordre supérieur, n’est pas exempte de cette loi implacable, elle la subit. Comme tout le reste, elle est la proie de la concurrence vitale. La sélection, là comme ailleurs, se fait chez elle par les guerres, c’est-à-dire par l’écrasement des peuples qui sont le moins bien armés.

« Nous ne pouvons en rien modifier cette organisation de l’univers, nous ne pouvons qu’en tirer une leçon pour notre gouverne. Vos récriminations ne sont donc pas fondées. Quel est le chiffre des victimes que nous immolons en vue de faire avancer la science, on comparaison du nombre immense des êtres que sacrifie tous les jours la nature?

Voyez donc les catastrophes récentes d’Ischia et de Java. Les blâmes que vous nous infligez sont donc puérils. »

A ce raisonnement spécieux, nous répondrons que nous savons aussi bien qu’eux que le système de la nature est parfois cruel. La nature, virtuelle et féconde, prodigue la vie à d’innombrables exemplaires quelle gâche, gaspille avec une incroyable insouciance: elle semble plus préoccupée de la conservation des espèces que de celle des individus. Quelquefois même, elle fait disparaître les deux.

Ainsi, à côté de cet agencement de prévoyance et de sollicitude admirables, elle autorise les grands cataclysmes, les grands carnages par les forces aveugles. Corpora cæca, comme disait Lucrèce. A chaque être né, elle oppose un destructeur. Mais son dernier mot n’est pas donné. Quand elle parvient au summum de son œuvre dans l’homme, un nouveau facteur intervient: la sympathie, la compassion, la pitié. Alors le fort n’écrase plus le faible; il exerce sur lui une tutelle, un protectorat salutaire. Enfin, il revient’ à l’humanité la glorieuse mission d’émettre un concept de droit et de justice. C’est la nature qui, dans l’homme, se fait conscience.

Nos adversaires ne manqueront pas de répliquer. Quel est donc ce droit; quelle est donc cette justice que vous accordez aux animaux? Vous ne cessez de les exploiter, vous vous sustentez de leur chair, vous leur donnez la mort et souvent même dans des conditions affreuses pour mieux délecter votre palais; vous satisfaites en cela des appétits gloutons. Tandis que nous, nous ne visons qu’à la découverte de la vérité. Donc, vous êtes de faux sentimentulist.es; vous déclamez hypocritement contre nous et vous êtes pires que nous.

Cette objection des vivisectionnistes est dépourvue de bonne foi. Aucune comparaison ne peut être établie entre leur conduite et la nôtre.

Comme nous ne sommes pas les auteurs de l’économie naturelle, nous cédons à des besoins impérieux, à des nécessités conservatrices de notre espèce. On nous oppose, sans doute, des théories végétariennes, mais elles ne peuvent l’emporter sur des habitudes, si habitudes il y a, prises depuis les temps préhistoriques, et qui, transmises de générations en générations, par voie d’hérédité, constituent un temperament définitif.

Mais en réalité, ce sort que nous réservons à ces animaux diffère peu du nôtre. Nous sommes, nous aussi, condamnés à mourir et nous le savons, ce qui est pis. Souvent même, nous mourons prématurément. Eh bien! si nous abrégeons l’existence de ces animaux, ils n’ont au moins aucune prévision de ce qui les attend. En hâtant leur lin d’une façon rapide, elle est relativement plus douce que la mort naturelle qui n’est, le plus souvent, que le terrible dénouement d’une longue et douloureuse maladie.

D’ailleurs, nous ferons remarquer que les animaux qui sont destinés à notre alimentation, sont le moins intelligents, le moins propres à rendre des services â l’humanité. Que c’est en nous les appropriant d’autorité et dans le sens le plus matériel du mot que nous en tirons un office, office involontaire de leur part. Nous avons donc moins d’obligations envers eux.

Il n’en est pas de même pour les animaux susceptibles d’être domestiqués et de nôus apporter le concours de leurs aptitudes. Ceux-ci sont nos coopérateurs, nos coassociés, ils nous prêtent assistance: en échange, nous leur devons la nôtre. Aucune de ces considérations n’arrête les vivisecteurs, je lésais. Ils choisissent de préférence même pour leurs expériences, les sujets les mieux organisés, les mieux doués, ceux enfin qui se rapprochent le plus de nous.

En ce cas, je déclare que tout être capable de recevoir une éducation, de se soumettre à une discipline, d’exécuter une consigne, de remplir un emploi, a droit à une part de justice et qu’il ne nous est pas permis d’agir arbitrairement envers lui et de méconnaître les services rendus.

Que d’êtres, dits inférieurs, nous sont complémentaires, que d’êtres nous sont des auxiliaires précieux, nous apportant leur contingent de facultés particulières, suppléant à l’insuffisance, à la défectuosité de nos sens et de nos organes par la perfection de leurs. Combien remplissent un mandat avec une ponctualité, une régularité bien capables de faire honte à plus d’un do nos mandataires. Je ne veux pas faire ici d’allusion. C’est donc en récompense du zèle, du dévouement de ces êtres, sans l’aide desquels nous n’eussions pu faire la civilisation, que les vivisecteurs leur infligent les plus horribles tourments.

Parmi eux, il s’en trouve même qui se vantent, comme d’un haut fait, d’avoir élevé un chien avec soin, de l’avoir bien traité, de s’en être fait chérir par préméditation et pour expérimenter un jour sur cet animal et voir si chez lui le sentiment affectueux l’emporterait sur l’acuité de la souffrance. Ce vivisecteur n’a pas insensibilisé l’animal, mais c’est lui-même qui s’est anesthésié le cœur pour jamais.

L’argument des vivisectionnistes est celui-ci: pour pénétrer avant dans la biologie, les études anatomiques sont insuffisantes, elles ne nous font opérer que sur des corps à l’état de repos, à l’état statique; tandis qu’il nous faut les observer à l’état dynamique. En un mot, en plein fonctionnement, c’est-à-dire vivants. Cette méthode est rigoureuse, soit; mais l’intérêt île la science veut qu’il en soit ainsi. Nous voulons saisir les lois de la vie sur la vie elle-même.

Très bien, vous voulez saisir les lois de la vie, dites-vous, et c’est pour cela que vous commencez par les violer; vous voulez étudier les fonctions des organes, et vous vous appliquez à les troubler; vous jetez la perturbation dans un organisme en le perforant, en le mutilant, en le tenaillant; puis vous observez. Vous observez quoi? Un état désordonné, une multiplicité d’éléments en désarroi, une rupture de rapports vitaux. Vous enregistrez des faits, lesquels? Des phéuomènes insolites, des mouvements anormaux, enfin toute une série d’accidents que vous avez provoqués volontairement.

Donc vos jugements ne peuvent être qu’erronés. Vous interrogez la torture, a dit un savant physiologiste, et c’est la douleur qui vous répond. — Votre méthode est bien plus favorable à l’erreur qu’à la vérité.

On raconte que Magendie jeta un beau jour son scalpel de dégoût. Il avait sacrifié 4,000 chiens pour établir la distinction qui se tient entrc les nerfs moteurs et les nerfs sensitifs, et il en avait sacrifié 4,000 autres pour démontrer qu’il s’était trompé.

Un autre physiologiste reprit l’expérience, tortura, à nouveau, 4,000 autres chiens, ce qui monte le chiffre à 12,000 pour prouver, au contraire, que la première opinion de Magendie était la vraie. Sans nul doute, un troisième expérimentateur a dû refaire un nouveau massacre de 4,000 chiens pour déclarer que la seconde manière de voir de Magendie était la meilleure. — Total 16,000 chiens martyrisés pour recueillir une incertitude.

Magendie avait interrogé la nature à l’aide d’une méthode incorrecte; elle lui a répondu, en vrai sophiste de la Grèce, par oui et par non.

Si ces abominables pratiques pouvaient jamais avoir une excuse, ce serait, au moins, dans les résultats qu’on en saurait tirer. Résultats éclatants, décisifs, procurant une grande somme de bien aux hommes, ou une diminution de leur maux. Alors les vivisecteurs pourraient dire: la fin justifie les moyens. Maxime exécrable, opposée à toute morale. Mais du moins, ils auraient une raison à faire valoir, un intérêt servi.

Tandis que, rien! Leur travaux sont stériles. Leurs effets les plus immédiats devraient se manifester dans la médecine. Et justement de toutes les branches de la science, c’est elle qui est restée la plus en arrière. Car on est en droit de se dire qu’elle a progressé en sens inverse. Ce qui signifie qu’elle s’est réduite au fur et à mesure et dans ses applications et dans sa thérapeutique, et qu’elle a cédé le pas à l’hygiène.

Il est bon de faire remarquer que l’hygiène est du domaine de l’observation, et que tout observateur peut la pratiquer à son profit sans recourir à des consultations officielles. Ce qui a fait dire à l’empereur romain Tibère — un parfait vivisecteur en son temps, celui-là, il faisait de la vivisection en grand. — Les douze Césars se sont distingués en cette partie. Evidemment leur but était scientifique, et ils ont été méconnus et calomniés. Il leur est dû une réhabilitation. C’est l’honorable académicien Renan qui se chargera de la faire. C’est un historien d’imagination; il possède au suprême degré l’art des interprétations. En ce genre il a fait un essai sur Néron qui ne laisse rien à désirer.

J’en reviens à Tibère. Donc, il disait: un homme à trente ans doit être son médecin lui-même. Le conseil était sage.

Ce n’est pas d’hier que datent les critiques contre la médecine et ceux qui l’exercent. Montaigne n’a pas attendu Molière, et ce qu’il en pensait alors peut se rééditer de nos jours. Cela n’a pas vieilli. On fait pour tant de la vivisection sans relâche. On obtient bien quelque chose: on torture les bêtes, mais on ne guérit pas les hommes. Les affections morbides continuent d’exercer leurs ravages; les fléaux font le meme nombre de victimes. Et quand on appelle, au chevet d’un malade, un de ces physiologistes distingués, on le voit, au grand désappointement de la galerie, tergiverser, hésiter, ne point se prononcer. Enfin, inhabile au diagnostic et conséquemment inhabile à la guérison.

La maladie de M. de Chambord nous en a fourni un exemple récent.

Combien a été piteuse l’attitude de ces princes de la science devant ce cas pathologique. — En tout, il faut se défier des princes. — Pourtant, c’était là une belle occasion de se signaler. Le sujet était un personnage en vue. — Un prétendant!

Là, comme pour M. Gambetta, ces fameux vivisecteurs, qui ne sacrifient des animaux qu’en vue de sauver des hommes, en pénétrant les secrets de la vie, n’ont fait preuve que d’impuissance. C’est qu’en vérité, c’est cette admirable faculté de s’assimiler la douleur étrangère à soi. de la faire sienne qui provoque chez le médecin l’intuition, la divination de la maladie et du remède qui doit reconstituer la santé. lucidité scientifique ne saurait jamais remplacer la sympathie absente.

Ici, les vivisecteurs le prennent de haut et vous ripostent avec une outrecuidance frisant le grotesque, guérir, guérir, à quoi nous rabaissez-vous? Nous pre nez-vous pour des rebouteurs? Guérir, mais c’est du domaine de l’utile. Invoquer l’utile en science, c’est émettre une théorie malsaine. Cette phrase est signée, dans la Revue des Deux-Mondes, par M. Ch. Richet.

Notre horizon, continuent les vivisecteurs, est plus vaste, notre ambition est plus haute; nous aspirons à résoudre les grands problèmes de la vie; nous prétendons pénétrer la cause et le mécanisme des forces qui nous régissent.

L’intention, je le reconnais, est excellente, mais, vainement, j’attends le fait.

Les physiologistes ne découvrent rien dans l’utile, ni rien dans le transcendant.

Ces grandes aspirations, ce besoin d’expliquer les causes de la vie se manifestèrent chez les physiologistes du seizième, du dix-septième et du dix-huitième siècle. Ils cherchèrent alors dans l’analyse des forces du corps quelques principes dont ils pussent déduire au moins une partie de ses phénomènes.

Sous l’influence des traditions religieuses, la plupart associèrent la métaphysique à la science, et affir mèrent l’existence d’agents matériels ou immatériels.

Borelli, G. Baglivi, Van-Helmont, Boerrhave, Haller, Stahl, se mirent successivement à la poursuite d’une puissance vitale à laquelle ils donnèrent des dénominations différentes.

Les théories des forces chimiques, mécaniques, psychiques, animiques, furent émises tour à tour pendant cette période.

Le dix-huitième siècle, avec Bordeu et Barthez, vit fleurir à l’école de Montpellier, le vitalisme, réminiscence de la doctrine de Stahl, l’animisme en moins. Bichat rejeta le principe vital comme une abstraction et lui substitua la notion des propriétés vitales ramenées seulement à la structure des organes.

Aucune de ces opinions n’a définitivement prévalu, et le grand problème de la vie reste encore à résoudre.

Nos physiologistes contemporains continuent les expériences, perfectionnent leurs instruments de vivisection, dits de tortures, certains, prétendent-ils, d’être en possession d’un mode nouveau d’investigation supérieure.

Leurs prétentions ne sont aucunement justifiées.

Il se trouve justement que les plus grandes découvertes de la physiologie ne sont pas dues à la vivisection, pour la bonne raison qu’aux seizième et dix-septième siècle, les préjugés interdisaient de toucher aux cadavres, considérant cet acte d’expérimentation scientifique comme une profanation. C’est avec beau coup de difficulté, beaucoup de protections et de permissions que les anatomistes el les physiologistes de cette époque arrivèrent à se procurer des corps morts humains. D’autre part, ou avait trop de pitié des animaux pour ne pas éprouver de grands scrupules à leur faire subir île si horribles souffrances. On les leur épargnait en leur ôtant, au préalable, la vie au moyen de l’opium. Etant morts, on ne pratiquait sur eux que la dissection.

C’est pourtant dans le même temps que fut faite la plus considérable des découvertes: la circulation du sang. Elle fut le fruit d’études anatomiques ardemment poursuivies et incessamment répétées.

Harvey, qui a eu l’honneur d’y attacher son nom, avait eu déjà des précurseurs.

De 1510 à 1550, Michel Servet, le même qui fut, plus tard, dénoncé par Calvin et brûlé vif à Genève, avait indiqué la circulation pulmonaire. Elle fut décrite, après lui, dans le même siècle, par Colombus et André Césalpin. Il y avait loin encore à la grande circulation.

Harvey se servit de ces précédents, à une distance de cent ans. Suivant assidûment les cours de Fabrice d’Aquapendente, excité par la découverte des valvules des veines que son maître venait.de faire, il ne se contenta pas d’étudier les indications apportées par la structure des vaisseaux sanguins dans les veines des cadavres, il eut l’idée de pratiquer des pressions extérieures, tantôt sur les artères, tantôt sur les veines des corps vivants: hommes et animaux.

On a parlé des biches de Windsor, qu’il aurait vivisectées à cet effet. C’est une erreur. Les expériences de vivisection sont ultérieures. Elles ont eu pour objet la publication d’un travail considérable intitulé: Exercitationes de generatione animalium touchant le développement du fœtus durant la période de gestation. Il fit en même temps des expériences sur des poulets.

Cette dernière œuvre, bien que très importante, fut, sur plus d’un point, justement contestée.

En somme, la découverte de la circulation du sang est pour Harvey son plus beau titre de gloire.

Mais, chose curieuse, elle a été moins fructueuse, moins féconde qu’on ne s’y attendait. Les effets s’en sont fait peu sentir en thérapeutique.

Il semble que ces leçons du passé doivent donner à réfléchir à nos vivisecteurs; et vu la stérilité de leurs efforts, les engager à abandonner cette méthode tortionnaire. Ils en sont réduits à des hypotheses qui s’évincent suivant le tour de succession.

A tout instant nous rencontrons dans les publications scientifiques, des phrases qui sont devenues des clichés: « Les beaux travaux du savant physiologiste Paul ont réduit à néant les hypothèses ingénieuses, mais quelque peu hasardées, du savant physiologiste Pierre. » Cette admiration dure jusqu’à coque l’éminent physiologiste Jacques — une nouvelle étoile — supplante par ses beaux travaux les ex-beaux travaux des remarquables physiologistes Paul et Pierre.

Et ceci n’a rien que de très concevable. Là, encore plus qu’ailleurs, on trouve le va-et-vient des opinions; le sujet à l’étude étant des plus complexes, des plus variables, et le mode d’investigation étant déplorable.

A l’heure présente, la scission est dans le camp physiologiste. Des savants qui font autorité en France, en Angleterre, en Allemagne, en Italie, s’élèvent avec des arguments plausibles contre la méthode vivisectionniste. Je vous fatiguerais en vous faisant la nomenclature des adversaires des procédés pratiqués dans les laboratoires de physiologie expérimentale. Je me bornerai à vous citer deux noms qui ont laissé, après eux, une trace immortelle: Nélaton, le célèbre chirurgien appelé dans l’Europe entière, et Auguste Comte, le fondateur du positivisme.

Il arrivait à Nélaton de dire à ses élèves qu’un livre curieux était à faire sur les divergences et les contra dictions émises par les physiologistes vivisecteurs; que ce, serait là un grand enseignement pour les jeunes générations.

Auguste Comte pensait que la vivisection était le plus sûr moyen de détériorer les esprits.

L’insuccès n’a pas lassé les vivisecteurs. Ce sont des sectaires farouches; une curiosité malsaine et mala dive les ubsède. Ils sont grisés pur le sang qu’ils versent; ils sont enivrés par les souffrances qu’ils provoquent.

Au fond de tout cela et pour parler net, la vivisection est une méthode à sensation, et le charlatanisme y trouve son compte.

Pour résumer, disons, preuve en main, que les physiologistes vivisecteurs n’atteignent ni l’objet ni le but de la science; ils ne découvrent pas la vérité, mais pré conisent souvent l’erreur. Par contre, ils amoindrissent l’homme; ils font disparaître en lui, sans compensation aucune, les qualités supérieures qui sont l’attribut et l’apanage de l’humanité; ils le ravalent aux instincts bestiaux des âges primitifs, conséquemment élémentaires; ils portent une grave atteinte à la conscience humaine.

Il nous reste à en examiner les conséquences dans l’ordre actuel des choses.

Suivant la logique de l’évolution intellectuelle, l’éducation doit être désormais à bases scientifiques.

— Je m’empresse de déclarer que c’est un bien; que c’est le seul moyen de dissiper les ténèbres engendrées par l’ignorance et la superstition, et d’accélérer le progrès.

Il s’agit donc alors de mettre dorénavant tout individu en possession de l’ensemble des connaissances humaines et d’en dégager toute une philosophie du monde, établie sur des bases positives et propres à se substituer aux conceptions théologiques.

Le programme que devra remplir chaque élève comprendra l’étude plus ou moins étendue des diverses branches de la science, suivant le degré qu’on voudra atteindre: Mathématiques, astronomie, physique, chimie et biologie. La biologie est la clé de la sociologie et la sociologie est le couronnement de l’édifice; elle est la science de l’histoire, c’est-à-dire la systématisation des faits et gestes de l’humanité constituée en corps politique.

Se rendre compte des organismes, étudier leurs fonctions d’après leur structure, c’est prévoir, à l’avance, la conduite des individus et des peuples. Il y a évidemment, dans cette doctrine, plus de rêve que de réalité.

Tout élève sera donc tenu de faire un stage assez prolongé en biologie; et comme la vivisection est la méthode favorite des physiologistes, les écoliers ne manqueront pas d’assister aux expériences et même d’y participer. Ce genre d’études sera de rigueur dans l’université, dans les écoles de l’Etat. Les établissements privés ne voudront pas se laisser distancer et auront leur jour de vivisection. Les cours gratuits, dans les mairies, une lois par semaine, donneront une séance vivisectrice. Les écoliers zélés pratiqueront même la vivisection à domicile, tout comme les élèves des Beaux-Arts exécutent chez eux des croquis dans l’intervalle des cours. — C’est ainsi que les jeunes gens, en entrant dans la vie, feront leurs humanités.

Et c’est dans cette intention que des essais de conférences physiologiques avec expériences sur des sujets vivants, ont été inaugurés en public.

Un a cherché à familiariser les foules avec ce genre de spectacle.

Les promoteurs de celte vulgarisation insalubre et corruptrice déclarent, dans leur boniment, que leur ambition n’est pas d’amuser, mais d’instruire. « Nous nous adressons, disent-ils, aux esprits bien équilibrés, exempts de faiblesse et de nervosité maladive. » Dès qu’on pique au vif l’amour-propre des gens, il en est toujours qui sont disposés à affecter la fanfaronnerie.

Nous devons reconnaître cependant à la louange du public que ces tentatives hideuses ont provoqué des protestations énergiques,

C’est qu’en réalité, une des caractéristiques de la gent qui se dit savante, est de traiter le sentiment avec le plus grand dédain, et de prendre en pitié les humanitaires. Les humanitaires sont de pauvres cerveaux. Du haut de la prépondérance cérébrale, on leur refuse une voix délibérative dans les conseils: leur droit devant être proportionné â leur capacité encéphalique.

Or, il y a malheureusement, en humanité, une disposition à confondre l’insensibilité avec la fermeté d’âme et la dureté avec le courage.

Et c’est ainsi que cette absurdité se reflète dans tous les départements de l’activité humaine et de l’organisation sociale. Est-il question de politique, de gouvernement, on s’empresse de dire: Nous ne faisons pas ici de sentiment. S’agit-il d’affaires, d’administration, d’industrie: Nous ne sommes pas des philanthropes, exclame-ton. Enfin, c’est une élimination systématique dans tout ce qu’on croit devoir être sérieux.

Il n’est vraiment pas permis de pousser aussi loin l’ignorance de la nature humaine et de contester à ce point l’évidence.

Le sentiment, la sensibilité sont la condition de la vie. Vivre, c’est sentir; sentir, c’est vivre; sentir, c’est penser.

Le sentiment est la puissance motrice par excellence, la force impulsive qui détermine tous nos actes. La sensibilité a trois propriétés : l’impressionnabilité, la transmissibilité et la perceptivité. Tel est le trajet que parcourt la sensation pour arriver au cerveau.

Cœur et cerveau sont les deux foyers où vient aboutir l’universalité des actes vitaux. L’humanité tout entière réside en eux et y réunit sa puissance; car d’eux partent toutes les émotions et les volontés du physique et du moral.

Plus l’impression est vive, profonde, mieux la pensée trouve l’expression pour la traduire.

« Facit indignatio versum », dit Juvénal. « Pectus est quod disertum faeit », écrit Quintilien. Et Vauvenargue, en français, exprime le même jugement. « Les grandes pensées viennent du cœur. »

Victor Hugo ne serait pas le plus grand poète de l’univers s’il ne joignait à un merveilleux appareil cérébral cette faculté de ressentir à la suprême puissance.

S’il a fait des chefs d’œuvre: sa Notre-Dame-de-Paris, son Théâtre, ses Châtiments, l’Année terrible, c’est qu’il a pu faire le Crapaud.

Ce grand génie est descendu jusqu’à cet être abject, repoussant, et il a fait de son martyre une odyssée poignante et pathétique.

On essaie de faire croire que cette sensibilité, cette compassion vive à s’éveiller débilite; que cette pitié, envers tout ce qui soutire, n’est qu’un moyen de déviriliser les générations et de les amollir. Je n’ai qu’un mot à répondre, c’est qu’on est entrain, tout simplement, de démoraliser l’idée de courage, de la corrompre, que dis-je, de la profaner.

Le courage, l’héroïsme se puisent à une source généreuse, c’est de cette générosité qu’émerge tout ce qu’il y a de plus noble, de plus grand au monde: le sacritice de soi-mème.

La science a ses martyrs, ses héros. Celui-ci, pour se frayer un passage dans les mers, meurt au pôle nord dans les glaces, loin de sa famille, loin de sa patrie; celui-là dans le centre de l’Afrique tombe dans les mains de tribus cannibales et anthropophages; cet autre est victime de ses expériences chimiques.

Vous, vivisecteurs, où sont vos héros?

Je vous vois bien du sang, du sang jusqu’aux cou des, mais ce n’est pas le vôtre.

Oh! vous prenez vos précautions, vous vous préser vez des morsures ! Vos machines infernales sont construites de façon à ne vous faire courir aucun risque et à enlever tout moyen de résistance et de défense à vos victimes.

Quoi! nul de vous, mù un jour par l’enthousiasme scientifique, transporté par l’amour de la vérité et du progrès, ne se lèvera et ne dira à ses élèves: ce n’est pas assez pour le but que nous poursuivons d’immoler de vils animaux, c’est sur l’humanité elle-même qu’il faut porter nos recherches; prenez ce scalpel, expérimentez sur moi-même; n’ayez aucun scrupule, aucune faiblesse, j’ai vécu pour la science, je suis décidé à mourir pour elle.

Je sais à l’avance qu’aucun de vous ne me prendra au mot. Ce serait une folie, direz-vous. Folie, soit, mais folie sublime, tandis que la vôtre est dégradante. Vous restez au-dessous des fanatiques de la superstition. Vous n’êtes ni sincères, ni convaincus.

Ah! quelle jolie génération vous nous préparez là! Voyez donc un peu tous ces adolescents qui, sous le prétexte d’étudier et d’apprendre, pétrifient leur cœur, blindent leur sentiment, tuent, enfin, en eux le principe de toute émotion; se glorifient de voir souffrir et de rester impassibles; bien plus, de provoquer la douleur. de la prolonger et d’y apporter tous les raffinements possibles sous le fallacieux prétexte de découvrir peut-être quelque chose de nouveau, ou plutôt de constater, de rechef, ce qui a été déjà découvert.

Ainsi éduquée, suivons donc des yeux cette belle jeunesse dans l’exercice de la vie.

Délivrée de tous les préjugés de la sensiblerie, comme elle les appelle, incapable de s’attendrir’ voyons-la donc aux prises avec la passion, devant un appétit à assouvir, un intérêt à satisfaire. Quel scrupule pourra l’arrêter devant un délit, qui plus est, un crime?

A l’avance, elle est prémunie contre toute défaillance. Votre enseignement, soi-disant scientifique, a réveillé en elle les instincts sauvages qui ne sont jamais qu’as soupis dans l’humanité.

Vous me direz: quelle exagération! de ce qu’on immole des animaux en vue de s’instruire, s’ensuit-il qu’on immolera ses semblables?

Pourquoi pas? Il n’y a pas de semblables là où il n’y a pas équivalence de facultés, c’est-à-dire egalité intellectuelle.

Dans la race humaine, comme dans toutes les autres, il existe, à côté des êtres d’élite, des déshérités, les mal venus, les parias de la nature; en un mot, les incapables, les idiots, les fous, les criminels. Pourquoi la science n’en disposerait-elle pas? Ceux-ci, rien ne les différencie des brutes, ils ne sont que des phénomènes de la matière mal organisée, par conséquent nuisibles sous leur étiquette humaine. La conservation d’un animal intelligent est infiniment plus précieuse que la leur.

Allons jusqu’au bout du système.

C’est ainsi qu’il y a quelques années, un jeune homme intelligent, bien doué et studieux, imbu des doctrines de Darwin, s’enthousiasma de la sélection par l’éviction du faible par le fort, et tira de cette théorie les conclusions les plus rigoureuses. Il traitamême ce sujet, non sans taleùt, dans des conférences publiques. Un jour que par les fatalités de la vie, il se trouva sans ressources et plongé dans une profonde misère, il rencontra sur sa route une humble femme qui lui portait son lait chaque matin. Elle possédait quelques économies et avait eu l’imprudence de le lui dire.

Dès ce moment, ce jeune homme fut en proie à une obsession et n’eut plus qu’une idée fixe: celle de s’emparer de ce pécule, si mince qu’il fût.

A quel raisonnement se livra-t-il? A peu près à ce lui-ci: Je suis un esprit distingué, cette femme est un être vulgaire qui vit plus végétalement qu’intellectuellement. C’est un cerveau atrophié, la loi de la sélection m’indique la conduite que je dois tenir.

« Supprimer le cerveau inférieur au profit du cerveau supérieur: telle est la loi du progrès. »

C’est, ainsi que Lebiez perpétra, d’accord avec un ami qui professait sans doute les mêmes principes, le plus abominable des crimes.

Voilà à quelles extrémités mène l’application logique de la sélection en société.

La vivisection, sanctionnée par la science, est la méthode la plus sûre pour arriver à ces résultats. Elle commence par légitimer tous les abus de la force. Qui peut alors dire où cela peut aller?

Heureusement qu’une explosion d’indignation se produit en ce moment; elle revêt un caractère universel. La conscience humaine se fait accusatrice publique; elle réagit contre cette réminiscence d’instincts féroces dignes des âges primitifs, instincts qui, de siècle en siècle, se sont réincarnés tour à tour, dans les tyrans, les inquisiteurs, les juges. Ils tendent aujourd’hui à reparaître sous la forme du savant, comme si la science pouvait jamais abaisser le diapason moral!

On minera dans l’opinion la vivisection, en en dé montrant l’inanité et l’horreur.

La France, j’en suis convaincue, se débarrassera de cette nouvelle invasion de barbares, et justifiera, une fois de plus, son impérissable devise: Droit, justice, humanité.

 

 

Source: Discours Contre La Vivisection Prononcé par Mlle Maria Deraismes à la Conference Donnée la Dimanche 23 Septembre au Théâtre au Des Nations Par La Ligue Populaire Contre l’Abus de la Vivisction (Paris: Auguste Ghio, 1884) pp. 3-29.